Attente

La nuit dernière, Kaliko avait eu du mal à dormir. Ce n'était pas très
important en somme ; mais elle avait eu l'intuition, au plus profond de
son for intérieur elfique, que quelque chose se préparait.
Aussi s'était-elle levée et, assise dans l'encadrement de la large
fenêtre donnant sur le jardin, avait-elle observé le ciel durant des
heures.
Au-delà de la simple rêverie que lui inspirait la vision de toutes ces
étoiles sur le velours sombre de la nuit, elle avait pris le temps
d'observer les astres. Elle avait appris à comprendre leur
signification.
C'était certain, quelque chose se tramait.
Oh, pas le genre de quelque chose qui fait dépoussiérer des livres pour
trouver une prophétie, pas non plus le genre de quelque chose qui
bascule le monde dans un équilibre encore plus instable qu'avant, non,
quelque chose à l'échelle humaine, à l'échelle de la vie de Kaliko.
C'est donc sereine que, à trois heures du matin heure Avalonnienne,
elle descendit dans les jardins du château attendre ce qui viendrait.

Il devait être fort tard - ou fort tôt - et Owein n'avait qu'une envie : dormir. Mais un léger problème se posait. S'il avait pu, dans un état second et par une inspiration divine, trouver sans difficulté la Salle de l'Arbre pour s'y présenter à Dana, il s'avéra qu'il était incapable de se repérer dans le reste de la forteresse.
Il avait erré depuis la tombée de la nuit dans les corridors, halls, tours et tourelles innombrables, sans trouver quoi que ce fût qui ressemblât à une chambre ou à un dortoir où il aurait eu le loisir de se reposer.
Sans toutefois se décourager, il avait continué d'explorer les bâtiments, avant de se résoudre à passer la nuit à la belle étoile. Il ne faisait pas froid, et il n'était pas, après tout, d'une nature fragile. C'était même tout le contraire.
Il descendit donc dans les jardins, à la recherche de la première parcelle d'herbe moelleuse sur laquelle s'étendre.
Quand il distingua, à la lueur de la lune, une jeune femme. Elle contemplait les étoiles, plongée apparemment dans une profonde rêverie. En réalité, ce n'était pas une femme, constata-t-il. C'était une elfe ; il le vit à ses oreilles effilées qu'encadraient de belles boucles brunes, et à son visage fin, racé, comme ciselé par la Nature dans le marbre le plus pur. Elle ne semblait pas l'avoir vu.
Il s'approcha, une main sur le pommeau de son épée et l'autre main sur le coeur, et s'inclina respectueusement devant elle.

"Bonsoir, ou bonjour, Demoiselle elfique. Je vous demande mille fois de me pardonner de vous déranger ainsi dans vos réflexion ; mon nom est Owein, je viens de m'engager auprès de Dana et ne connais pas encore les lieux. Oserai-je vous demander de m'indiquer le lieu de repos des soldats ?
Pardonnez moi, encore une fois, si votre rang ou votre appartenance au Beau Peuple demande plus d'hommages que je ne vous en ai présentés, je n'avais nulle intention de vous offenser."

Kaliko tourna la tête vers le jeune homme, qui ne cessait de s'excuser. Il était d'une gentillesse telle qu'elle se mit à sourire.
Du bout des lèvres, les yeux brillants, elle lui demanda :
"- Est-ce vous l'homme que j'attends ? Serait-ce..."
Elle ne termina pas sa phrase. Elle venait d'apercevoir l'étendard de Dana, orné des mots faisant d'Owein l'un des chevaliers du vent de l'Horizon Divin.
L'Horizon Divin... Sa caste...
Elle se saisit de la fine étoffe, quitte à le voir rougir du bref contact de leurs doigts, n'y croyant pas.
- Owein, il est de mon devoir de vous mener à vos appartements... à moins que vous ne pensiez que cette belle soirée soit propice à ce que je vous montre l'ensemble du château. Je suis en pleine forme. Je ne sais pas pour vous...
Voyant le regard interloqué du chevalier - ce qui était plus que normal étant donné le brusque changement d'état de l'elfe - elle se demanda si quelque chose ne clochait pas.
- Ah oui. Je m'appelle Kaliko Zu'l Zorander et je suis la dirigeante des messagers du vent... de l'Horizon Divin. Vous venez ?

Rougissant, pâlissant, puis se relevant fébrilement, Owein ne sut sur le moment pas quoi répondre à l'elfe.
Elfe qui venait de se révéler être sa supérieure hiérarchique. Et en aucun cas il ne voulait passer pour un lourdaud, pour un goujat ou pour un simplet auprès de ses supérieurs, des elfes ou des femmes. Alors devant une personne qui réunissait les trois conditions...
D'ailleurs, était-il autorisé de se promener dans le château au beau milieu de la nuit en compagnie d'un de ses supérieurs, à fortiori si celui-ci est une femme ? Angoisse...
Au moins ne semblait elle pas offensée, c'était déjà un aspect positif de la situation. Mais cela ne lui disait pas comment réagir. Il choisit finalement de lui obéir sans broncher - ce qui d'ailleurs ne le contrariait pas outre mesure - et de la suivre.

"Je vous suivrai, si vous désirez me montrer le château, Dame Kaliko !"