Concours d'écriture [X]

La voleuse se remémora les histoires de son enfance, considéra les particularités d'Halloween en Avalon et se lança.

, avant que n'existent les factions, vivait dans le nord une très grande et riche famille. Cette famille, grâce à sa richesse, nourissait et donnait du travail à plus de la moitié des habitants d'Avalon, et tout le monde en était reconnaissant.
Cette famille, donc, gardait ses richesses méticuleusement recensées dans une immense salle sous leur demeure. On n'y entrait que pour y puiser les paies et les dons, et seul le maître de famille avait la clé.
Un des enfants de la famille - on a oublié son nom - allait souvent jouer en secret avec ses poupées dans cette salle. Il avait onze poupées, à l'effigie d'un chat noir, d'une vieille femme, d'un homme à tête de citrouille, d'un squelette, d'un vampire, d'un démon, d'une chauve souris, d'un loup-garou, d'une jeune fille vêtue de rouge, d'un fantôme et d'un ange. Personne ne s'inquiétait qu'il aille y jouer : c'était un enfant de la famille.

Or, un jour, un voleur particulièrement doué parvint à s'introduire dans cette salle et déroba une partie du trésor. Il n'en emporta qu'une petite partie, ne pouvant en porter plus.
On ne s'en aperçut pas.
Il recommença donc, chaque nuit, pendant un mois.
Au bout de ce mois, la famille s'aperçut que son trésor s'amenuisait progressivement, et ne tiendrait pas à ce rythme. On posta des vigiles, on lança des avis de recherche, mais on ne put attraper le voleur.
Et celui-ci continuait.

La famille annonça, désolée, à la population qu'il n'y aurait bientôt plus d'argent, donc plus de travail, ni d'aides et de dons. Ce fut un terrible coup au moral de tous, et chacun était désespéré.

Le voleur continuait à revenir toutes les nuits, se sachant inattrapable. Une nuit, cependant, comme il remplissait son sac - il faisait très sombre dans la salle - il aperçut une lueur parmis les allées de pierreries. Curieux, il s'approcha, et entendit une voix qui chantait dans une langue inconnue, et le bruit d'un feu qui crépite.

Il s'approcha un peu plus, et soudain, recula de terreur.
Sur le mur, en face de lui, dansaient des silhouettes de cauchemard. Elles tournoyaient, se déformaient, sautaient sur place dans une danse endiablée. Plus hautes que n'importe quelle créature, elles avaient des ailes, des griffes, des dents, étaient bossues, menaçantes, bestiales, grimaçantes, terrifiantes.
Le voleur terrorisé se risqua à jeter un oeil à leur emplacement, mais se retrouva nez à nez avec une citrouille grimaçante et prit ses jambes à son cou. Il courut, courut, mais des pas le suivaient, et quand il se retournait, il voyait la grimace de la citrouille qui s'étendait sur les murs en riant de lui.
Il détala jusqu'à la sortie, se jeta dehors et se livra lui même aux gardes, criant de terreur qu'il était poursuivi par une horde de monstres.

C'était en fait - vous rappelez vous ? - l'enfant qui était resté jouer la nuit dans la salle, avec ses onze poupées, et avait fait un feu en s'amusant à les faire danser autour. Et puis, il avait vu un monsieur qui avait l'air effrayé, et lui avait couru après pour lui dire de ne pas avoir peur de se perdre...

Le fait est qu'on n'essaya plus jamais de voler cette famille et que le voleur restitua le butin. La population, sauvée, fêta le petit sauveur qui ne comprenait pas tout, et depuis, onze jour par an - un jour par poupée - on fête en Avalon la victoire du chat noir, de la vieille femme, de la citrouille, du vampire, et des autres...
Si bien que les enfants, déguisés, passent la nuit de porte en porte, réclamer en friandises la récompense dûe à leur prédécesseur..."

Quelque chose avait changé dans le regard gris de Kaliko, aussi s'avança-t-elle avec détermination jusqu'au Commandant qu'elle ne connaissait que très peu... et de réputation.
-Je veux participer à ce concours moi aussi !
Et ne sachant que faire, elle s'en fut s'installer à la cime d'un arbre écrire une nouvelle. Halloween... Miam, Miam.

Kaliko revint, plusieurs feuilles couvertes de son écriture chaotique à la main, choisit un fauteuil, s'y cala confortablement, croisa les jambes et commença à lire.

"L'histoire que je vais vous raconter date de l'aube de la nuit des temps. Ce temps où les elfes, orgueilleux et solitaires, étaient "le beau peuple", le "peuple pur". Ils arrivaient tout juste en Avalon. Grands, beaux, ardents guerriers... ils suscitaient la jalousie autant que la crainte et le désir.
En ce temps même, quelques dieux mineurs subsistaient - plus pour longtemps. L'un d'eux, Psukè, jeta son dévolu sur une elfe. Elle s'appellait Aletheia.
Nul ne sait ni ne saura ce qu'Aletheia avait de plus que les autres magnifiques elfes. Elle avait des cheveux d'argent, des yeux d'ambre et un corps sculpté par la vie dans sa forêt natale.
Elle repoussa immédiatement les avances du dieu, allant jusqu'à le menacer de se suicider ou pire, de rompre le Pacte du Sang et de se donner à un humain !
Le dieu n'hésita pas à se damner en maudissant la belle, d'une malédiction qui vous aurait semblé bénédiction, à vous, humains cupides et philantropes...
Aletheia ne vieillirait jamais plus. Le temps cesserait d'avoir toute incidence sur elle. Elle dépasserait l'espérance de vie elfique, aussi longue soit-elle...
La jeune elfe était dans la fleur de l'âge et ne comprit pas la portée du sort. L'immortalité, la jeunesse éternelle, tant de rèves ! Elle en fit une fierté auprès de tout son peuple. Les plus jeunes l'acclamèrent, les ancêtres, eux, prièrent pour le salut de son âme. Son jeune esprit était voué à finir torturé, sa douleur serait aussi éclatante... que millénaire.
Une fois passée l'euphorie, le doute s'immisça, poison lent et cruel. Aletheia vit ses amis vieillir, et les enterra tous. Les années filaient entre ses doigts. Elle eut une fille, qu'elle vit mourir de sa belle mort. Ses maris se succédèrent mais elle n'avait aucun amour à leur porter. Le temps les happa, eux aussi.
Elle prit une décision simple - de ces décisions dont les contours sont tranchés nets et qu'on finit toujours par regretter... vivre seule, pour ne plus jamais subir la perte d'un être cher. Malgré supplications, appels, tentatives de séduction, elle resta inflexible, insensible, offrant pour toute facade son mépris : "vous en savez tellement moins que moi."
Elle choisit un arbre dans la forêt de Brocéliande et décida qu'elle ne sortirait plus jamais de ce bois. Elle avait fait comprendre qu'elle abattrait sans sommation quiconque tenterait une approche.
Une elfe ne rate jamais sa cible...
Au fil des générations la légende se propagea : il y avait un monstre qui dormait au fin fond de la forêt de Brocéliande...
Et pourtant un homme réussit à pénétrer ces bois, on ne sait comment. Humain simplement, sans pouvoir aucun. Ce fut le scintillement de la cascade de cheveux de l'elfe, tombant comme de l'argent en fusion du haut de l'arbre, qui l'attira.
Il n'avait pas 20 ans. Elle avait plusieurs millénaires derrière elle. Pourtant au premier regard ils se plurent, pas d'amour comme dans les livres, mais de désir, sauvage, animal.
Il y a 872 ans, au mois de février, l'humain et l'elfe se mélangèrent pour la première fois. Aletheia ne laissa pas l'homme filer. Elle le tua. Le réflexe de la veuve noire... Elle n'avait aucun risque à prendre.
Mais une fois la nuit tombée, et pour la première fois depuis des siècles, Aletheia pleura.
Le malheur la garda jusqu'au bout... car bien que ce soit extrêmement rare chez les elfes, elle tomba enceinte, une deuxième fois, d'un humain... Au plus profond d'une légende se développait un bâtard, le premier sang-mêlé d'Avalon, le Pacte était rompu!
Aussi étrange que cela puisse paraître elle garda l'enfant, il lui semblait même que c'était cette présence dans son ventre arrondi qui la retenait de mourir de désespoir...
Et quand survint la délivrance, à l'aube du moi de novembre, Aletheia sut que tout se passerait mal. Utilisant ses dernières forces, alors que les douleurs n'étaient pas encore trop rapprochées, elle courut, hors de la forêt de Brocéliande pour la première fois depuis des siècles, demander de l'aide à ce petit village non loin de l'orée...
Mais avec le temps le petit village est devenu une cité, une immense cité, entourée de murailles infranchissables. La nuit est tombée, les portes de la ville ne se rouvriraient qu'au petit matin, il serait trop tard, bien trop tard...
De découragement Aletheia se laissa tomber le dos contre la muraille sombre, le front baigné de sueur. Les douleurs se rapprochaient, de plus en plus, elle était si impuissante, et le bâtard allait naître, c'était de sa faute... Elle poussa un cri, de rage et de douleur, et s'évanouit. Lorsque les ultimes douleurs la réveillèrent, sa main fébrile et tremblante fouilla son sac pour y récupérer un poignard. Son geste manqua de précision, sa gorge ne fut pa tranchée net. Sa conscience sombra mais son enfant put naître. Elle mourut.
On dit que l'enfant n'est pas mort, qu'il a été récupéré. On dit que la lignée de cette elfe prospère encore. On dit, mais plus rien n'est sûr. Sa tombe a été réouverte, profanée, son corps volé.
Aujourd'hui encore on fête la naissance du premier bâtard demi-elfe d'Avalon comme une mort, une fête macabre, le Pacte du Sang rompu pour la première d'une longue série de fois...