Powëte ?

Kaliko, à bout de souffle après avoir couru dans tous les sens en hurlant pendant une bonne heure, errait, un peu hagarde, l'oeil morne, dans le jardin de Dana.
Elle déboucha sur une sorte de cour d'herbe aménagée tout à fait somptueuse. La lune jouait à se cacher derrière les nuages, créant un faux-semblant d'irréel.
Kaliko s'assit au centre du cercle formé par les plantations, prenant garde à ne rien abîmer. Son regard passait d'une plante à une autre, ses lèvres bougeaient au fur et à mesure qu'elle se souvenait (ou pas) des propriétés médicinales de telle fleur ou de telle tige.
Elle se retint d'aller couper, ponctionner ou recueillir du pollen, par respect pour la personne qui avait conçu tous les plans de ce jardin somptueux et inconnu, par respect aussi pour celle qui avait planté et entretenu ces plantes.
Elle s'allongea dans l'herbe tout juste humide et fraîche de rosée, les brins de gazon la chatouillant, prenant le temps de regarder les nuages passer avec une lenteur exaspérante.
Puis, elle se redressa, et ouvrit son sac, d'où elle sortit un minuscule cahier et un stylet.
Avec un fin sourire aux lèvres, Kaliko se mit à écrire.

Kaliko se souvint de cette légende, des mercenaires Unseelie vouant leur âme à Nyx - pour peu qu'ils en aient une. Le sourire aux lèvres, elle se mit donc à composer un sonnet en décasyllabes.

J'ai une maison, mais pas de foyer,
Y a pas d'amour chez les prostituées,
Mes amis n'le sont que par intérêt
Ma femme et mes enfants, j'ai dû les tuer

Sans hésiter j'ai vendu mon âme
A l'injuste cause, et sans un blâme,
Elle ne valait rien, ils en ont voulu
Je ne craignais plus d'être mis à nu

J'accomplis ma besogne sans remords
A part peut-être pour ma pauvre mère
Elle n'doit pas être très fière, six pieds sous terre

L'euphorie me tiendra jusqu'à la mort,
Monotone dans mon sombre décor,
Nul ne pleurera sur mon triste sort.

Puis, elle lança un sort simple pour protéger son carnet de la rosée etdes intempéries, et le cacha dans une fente d'un arbre. Elle se leva et rentra dans la salle d'entraînement après avoir sprinté à travers les pelouses du château de Dana.

Kaliko revint dans son petit coin de verdure, s'assit dans l'herbe mouillée, inspira à fond les senteurs diverses et variées de fleurs, de terre humide, d'herbes diverses, de pollen.
Elle se mit à écrire.

Elle est parfaite
Tellement discrète
Et si elle est toujours là...
ce n'est pas pour moi.

Elle est mon idole,
Lascive, étendue sur le sol
Elle est mon ennemie
Source secrète de mon infamie.

Elle est ma vie, ma jalousie,
Et lentement elle me détruit
Elle reste là
Où je vais, elle y va.

Elle est doucereuse
En apparences... pas dangereuse
C'est depuis toujours ma cible
Elle reste inaccessible.

Ma peste noire
D'un mépris tellement rare
Ma décadence, qui me gangrène
Son insolence, coule dans mes veines

Elle est ma vie, ma jalousie
Et lentement elle me détruit
Elle reste là
Où je vais... elle y va.

Mais à ma mort... où ira-t-elle,
Elle qui ma folie éveille,
Elle alliée du soleil
Mon ombre frêle demoiselle ?

Après réflexion, elle intitula sa chanson Ma jalousie, attribua au 3e et 6e vers le rôle de refrain, referma son carnet, et s'endormit.