Crise existencielle [PVDarsha][X]

Salle du conseil ==>

Yvan se trouvait être l'Héritier de l'une des branches les plus primordiales des familles nobles vampires. Ce statut lui avait donc assuré une enfance dorée malgré une éducation dure et exigeante. Aussi sa chambre avait-elle toujours été la figure représentative du milieu qui l'avait vu grandir, le préservant de toutes agressions extérieures.

Quand il s'était décidé à délaissé la maison familiale, Yvan ne s'était jamais attendu à retrouver un tel confort. Néanmoins, il avait toujours veillé à se rassurer. Après tout il était Prince ! Et l'on réservait un service particulier pour les Princes. Surtout lorsqu'ils appartenaient à une famille fidèle à Nyx depuis de nombreux siècles.

Ses illusions venaient d'être brisées.

La chose était simple. Il lui avait suffit de pousser la porte menant aux chambres, pour découvrir qu'il ne s'agissait pas de chambres comme l'avait si bien renseigné un jeune sorcier éberlué de le voir lui adresser la parole - d'ailleurs l'impétueux serait bientôt puni d'ici quelques heures-, mais de dortoirs. Dortoirs communs. Avec une salle immense et des rangées de lits accompagnés de quelques meubles tels ce qui devaient être une table de chevet et un coffre. Juste de quoi déposer ses affaires.

Mais surtout, surtout il y avait cette invasion masculine. Des dizaines d'hommes d'âges tous plus différents les uns des autres. La plus simple des populaces à rire de quelques blagues grivoises, trainassant dans le plus simple des apparats - qui se trouvait être un minimum de sous-vêtement heureusement- ou se battant en duel sur quelques lits déplacés formant un semblant d'arène.

"Qu'est-ce que...?"

Sa surprise resta au bord de ses lèvres. Néanmoins un premier garçon posa ses yeux sur lui, le scrutant de la tête au pied sans la moindre des gênes. Il fut bientôt suivi par de nombreux autres tandis que le brouhaha s'étouffait quelque peu. Et ce genre de regards auxquels était habitué Yvan le gêna subitement. Pourquoi ? Peut être parce qu'il venait de prendre conscience de sa faiblesse physique par rapport à ces guerriers qui semblaient tous posséder un minimum d'expérience. Il ne pouvait même pas riposter, ou même se faire respecter...

Il se gifla à la grande surprise d'un petit blondinet au regard idiot. Sa réplique n'était pas les armes mais les mots. Voir, avec ce genre de personnes, le dédain. Qu'avait-il à se laisser ainsi écraser par ces pitoyables fidèles d'une grande banalité ? Certes, il devait l'avouer que la cohabitation s'annonçait difficile. Mais il lui suffisait de profiter d'une occasion pour se faire respecter... Quoique ces brutes ne devaient comprendre que la force...

Etrangement il venait de comprendre le clin d'oeil moqueur de la Déesse.

"Je dois me concentrer sur mon objectif. Ne pas craquer. Sara, Sara, Sara..."

"Hé ! Toi ! Ta tête m'dit que'qu'chose !"

Yvan entendit distinctement ses dents grincer intérieurement. Ne relevant pas l'interpellation, il ne chercha pas même celui qui en était à l'origine. Dédaignant jusqu'à même les autres qui attendaient avec curiosité sa réponse, il s'éloigna du plus gros des troupes sans grande difficulté, la plupart de la populace s'écartant instinctivement sur son chemin. Il parvint ainsi jusqu'au dernier des lits avant un paravent imposant. Un papier accroché sur celui-ci attira alors son attention.

"Cette partie du dortoir est réservée aux filles, alors même si vous êtes neutres allez crêcher ailleurs." Lut-il à mi-voix. "Je vois, donc même les femmes dorment dans cette salle. Quelle manque de tact. Non, Leïo ?"

Son compagnon toujours aussi sagement perché sur son épaule sembla acquiescer. Distraitement, Yvan lui caressa la tête pour reporter son attention sur l'ancestral matelas qui lui servirait de couche. Il ne put empêcher une grimace de mépris de s'inscrire sur son visage. Mais finalement, ce fut un profond soupir qui lui échappa tandis qu'il déposait le peu de ses affaires, dont sa hallebarde, sur son lit.

"Faut-il que tu en vailles vraiment la peine, Sara. Les temps vont être durs, je le sens... Et surtout, il va falloir trouver un maître d'armes. Vu la population ici, je commence à me poser quelques questions."

Leïo eut un léger mouvement de tête à ses paroles, la penchant sur le côté pour le dévisager avec curiosité. Avant de pousser un léger trissement. Yvan comprit tout de suite le message pour faire volte-face.

Une présence derrière lui.

Derrière lui, en haut de l’imposant paravent au message plus qu’explicite, l’observait la voleuse qu’il avait déjà rencontrée.
Darsha - rentrée par une fenêtre du dortoir, pour ne pas changer - était en train de relire un recueil de poèmes particulièrement sombres et torturés d’un certain Sharleb O’deler quand des éclats de voix de l’autre côté du dortoir avaient attiré son attention. Sans poser le livre, elle s’était hissée sur la pointe des pieds à la tête de son lit et avait jeté un regard chez les « mâles ».
Le tout jeune vampire qu’elle avait accueilli en tant que Garde un peu plus tôt était en train de s’installer sur le lit le plus proche du paravent.
Il déballait ses affaires d’un air profondément consterné, sa hirondelle toujours posée sur l’épaule.
La voleuse eut un petit rire intérieur, un rien moqueur : ah, naturellement, la vie parmi les Unseelies serait très différente du confort et des distinctions qu’il avait sans doute connu par le passé.

Mais il devrait s’y faire, aussi vrai qu’elle avait du se faire à une vie sédentaire et régie par les règles de la discipline après presque une année de pèlerinage et d’avenir au jour le jour en groupe restreint.
Sans le connaître, elle se sentait du coup relativement proche du vampire, d’autant plus qu’ils avaient presque le même âge. Détail futile, d’ailleurs. Elle était la preuve vivante qu’aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le nombre des années.
En dépit du fait qu’elle n’était pas de haute naissance. Cela rajoutait à sa valeur, en quelque sorte.

Elle reporta son attention sur Yvan, qui la regardait maintenant de ses grands yeux violets. Elle lui sourit amicalement et, voyant qu’il ne se départissait pas de son regard déçu :

« Tu t’y feras, dit-elle d’un ton détaché, et puis tu n’es pas si mal placé : tu pourrais être près des lukos… »

Elle désigna un coin de la salle où des loups-garous sous leur forme animale se prélassaient, veillant jalousement sur leurs réserves de viande. Pas toujours fraîche.

« D’ailleurs, si un soldat t’importune, il y aura toujours une gradée - ou moi-même - pour rétablir l’ordre. Ne me regarde pas comme ça, contrairement à ce que tu penses, nous sommes respectées, ici… »

Elle finit sa phrase avec un sourire en coin particulièrement peu engageant.

"Raoryn Darsha."

Le nom avait glissé naturellement. Qui osait dire que les vampires avaient une mauvaise mémoire ? Cependant, il est vrai que même le plus sot des sots aurait eu du mal à effacer de son esprit l'étrange rencontre aux portes d'entrée. Ou peut être cela pouvait-il être vrai, si du moins le concerné se trouvait être un puissant guerrier intime, confident des techniques qui aurait su reproduire sans rencontré de difficultés pareille entrée. Mais les puissants guerriers n'étaient pas des sots. Non ?

Elle, dans tous les cas, ne semblait pas l'être, puisque ses paroles se trouvaient être vérifiées. Effectivement il ne s'en tirait pas si mal. A voir les loups-garous, il ne tenait pas vraiment à faire ami-ami avec de telles créatures. Certes, les historiens retraçant l'Histoire d'Avalon avaient toujours eu tendance à croire qu'ils se trouvaient être les alliés naturels des vampires, mais lorsque l'on regardait bien - et même un coup d'œil aurait suffi dans ce cas mais les historiens cherchaient toujours des Devas là où il n'y en avait pas, ce qui était impossible enfin bref...-, ils n'avaient rien en commun. Ni culture, ni tradition. Juste une tendance au sang. Rien de bien méchant en soit...

Et surtout, il ne tenait pas à faire ami-ami avec qui que ce soit. Mieux valait être seul que mal accompagné. Il savait déjà qu'aucun des hommes présents dans cette pièce n'espéreraient jamais le voir leur adresser la parole amicalement. Déjà parce que cela ne correspondait pas à ses habitudes, ensuite parce qu'ils lui faisaient plus pitié qu'autre chose et surtout parce qu'il n'en avait strictement aucune envie. Ni besoin, cela allait de soit.

Aussi délaissa-t-il le spectacle confus de ce regroupement purement masculin et hormonaux où il ne se sentait pas à sa place, pour reporter son attention sur la jeune garde. Au moins, même si elle lui adressait un sourire fort inquiétant, il dut reconnaître qu'elle ne se trouvait pas au stade "d'imbécile condamnée" ou bien encore de "personne sans identité et intérêt". Ce qui était déjà une chose fort admirable d'obtenir une appréciation autre aux yeux d'Yvan surtout en ne comptant qu'une seule et unique rencontre dans le passé. Même si bien sûr, on était loin encore du profond respect que Nyx avait su réveiller en lui. Normal, pour une Déesse.

Parce qu'elle était plus gradée que lui, que l'expérience se lisait sur son visage, et parce qu'il avait lui-même était témoin de ses capacités, il put envisager de poser sa demande. Peut être était-ce aussi son ton plutôt engageant, ou bien encore la manière qu'elle avait à ne pas le considérer comme un gosse - après tout elle en était un encore elle aussi-, il ne sut pas vraiment. A moins que ce ne soit aussi le changement brusque de milieu qui pressentait aussi un revirement de manière de vivre. Ou le simple fait que bientôt son existence serait en danger et que les mots ne le sauveraient pas.

Qui sait ? Parfois le Destin se voulait surprenant.

"Je recherche un maître d'armes d'expérience."

Tout en parlant il avait continué à s'installer et Leïo s'ébrouait désormais sur le lit. Néanmoins il se décida finalement à lever les yeux jusqu'à son interlocutrice, délaissant sa précédente activité qui ne pressait pas tellement. Demander ainsi de l'aide ne lui plaisait pas, mais la situation l'exigeait. Et il n'était pas assez idiot pour s'entêter et risquer sa vie. Ce serait mettre un terme stupide à sa vengeance. Ne jamais saigner à blanc ceux qui avaient tué sa Sara.

Cependant il conservait encore une voix détachée et un peu froide. Le ton normal à employer pour les gens un peu moins banals que les autres. Qui avaient su le surprendre un peu. Ou le prendre de cours. Ce qui revenait au même finalement. Néanmoins il eut du mal à admettre à voix haute sa faiblesse. Les mots butèrent, il les fit céder. Tandis qu'une lueur déterminée brillait dans ses yeux. La même que celle qui avait habité son regard alors que Nyx testait la force de sa volonté. Une volonté qu'il voulait profondément encrée dans son esprit, son cœur et son âme. Une volonté qui a elle seule supportait toutes ses autres résolutions... Et - tiens justement - Nyx sait qu'elles étaient nombreuses...à le faire avancer. A le pousser toujours plus en avant.

"Je ne suis pas suffisamment entraîné et mon expérience en affrontement est nulle. Mais je suis bon élève, je sais apprendre vite. Et...j'ai un objectif à atteindre, absolument. Pourrais-tu...m'apprendre les ficelles du métier ?"

Le paravent s’écarta, laissant passer la jeune fille, et se referma aussitôt.
Il parlait donc. Et, sans être extraordinairement ouvert - doux euphémisme, en réalité il était à peu près aussi empathique qu’un Faïrt Chrô - il était poli et son ton n’avait rien de méprisant.
Si elle devait lui servir de maître d’arme, car elle n’était pas contre cette idée, ils passeraient sans doute plus de temps à croiser le fer qu’à discuter stratégie.
Mais c’était de cela qu’il avait besoin, non ? De la pratique, encore et encore.

A voir ses épaules minces, ses mains fines et immaculées comme celles d’une comtesse cloîtrée, son visage lisse sans cicatrice ou marque de douleur d’aucune sorte, il était un combattant absolument malléable. Malléable, entendre sans style propre. Pas encore forgé par des expériences, des adversaires et de situations particulières, en quelque sorte.
Pas qu’elle-même ait une expérience immense. Des voyages, des missions - auprès de combattants bien plus puissants, tels que lui ou les Héros - ou des missions en solo l’avaient tout de même, peu à peu, aguerrie. Façonnée.

Chaque individu, naturellement, a telles ou telles prédispositions. Quelqu’un comme Darsha serai plus apte à réagir rapidement, sans laisser de traces - de « vagues à la surface de l’eau » - quitte à repasser plus tard récolter les fruits d’un piège tendu patiemment. Quelqu’un comme Yvan serait plutôt du genre à vouloir tout, tout de suite, sans se soucier des conséquences et des répercussions. Stratégie parfois payante mais souvent dangereuse.
Du moins, de son point de vue de voleuse.

Et puis, ce noble, membre de cette catégorie de vampires réputés hautains et pédants, demandait lucidement de l’aide. Une preuve de discernement et d’intelligence, une fois de plus. Nombre d’autres, à sa place, ne se seraient pas abaissés ne serait-ce qu’à adresser la parole à une vulgaire voleuse, vile et fourbe, comme elle devait sans doute être à leurs yeux. Ou à quelque soldat que ce soit d’autre.
Et s’en seraient brûlé les ailes par la suite…

« Très bien. Dès demain, si tu veux, à la Salle d’entraînement. Je suis en mission dans la matinée, mais à partir milieu de l’après-midi tu pourras me retrouver là bas. »

Et sur ces mots elle repassa de l’autre côté des paravents et se laissa tomber sur son lit, reprenant sa lecture, disant parfois tout bas un vers plus beau que les autres.

« Dis moi, parfois ton coeur s'envole-t-il...
...emporte moi, frégate !»

La réponse ne s’était pas fait tant attendre et la voleuse avait de nouveau disparu derrière le paravent rapidement. Ma foi… Le principal était qu’elle avait accepté de
l’entraîner. Bonne chose qui le satisfaisait grandement et lui ôtait, il ne fallait pas l’oublier, une sacrée épine du pied. Ainsi il n’avait plus temps de soucis à se faire pour la pratique physique. Il devait reconnaître qu’il faisait confiance à la dénommée Darsha et son sourire inquiétant.

Bien sûr, cela ne signifiait pas pour autant qu’il accourait joyeusement le lendemain tel un jeune Runedeau. Il serait à l’heure. Certes. Il suivrait ses conseils. Certes.
Mais en-dehors, cela s’arrêterait là. Il ne tenait pas plus à s’aventurer sur la pente haït qu’étaient pour lui les relations. Il avait beau apprécier les affrontements - surtout lorsqu’il y avait du sang mais cela est une autre histoire-, désirer obtenir plus de force… Il restait avant tout non pas un guerrier mais un noble dont le destin se résumait à représenter sa famille. Et supporter ses devoirs et son honneur. Cela voulait aussi dire qu’il n’aurait
rien de plus à accorder à la voleuse qu’une part de respect.

Ce qui était déjà amplement suffisant à ses yeux.

Il remarqua alors que Leïo l’avait joyeusement délaissé. L’hirondelle avait brusquement disparu, se dont il ne s’inquiétait pas vu la proximité d’une des fenêtres avec son lit.
Il se sentit juste étrangement seul. Sentiment qu’il repoussa vivement tout en terminant de s’installer. Il ne s’agissait pas vraiment de cela. Il ne se sentait pas seul dans le sens où il désirait n’importe quelle compagnie pourvue qu’elle soit en grand nombre. Non. Il se sentait seul dans le sens, étranger. Il avait l’habitude de compter sur lui-même, mais en ses lieux qui lui étaient méconnus et les changements qu’ils incombaient, il se sentait un peu perdu.

Il n’était pas question du « Papa me manque » ou encore même « Ma Maman
adorée », il n’y avait vraiment que les enfants de bas âge pour penser ça, un stade qu’il avait dépassé depuis longtemps. Et de toutes façons, il était complètement impensable qu’il se permette un jour d’appeler ses parents « Papa » et « Maman ». Ces mots tout simples lui avaient rapidement été interdits et il n’avait jamais véritablement ressentit le besoin de les dire. Non. Il s’agissait plutôt de souvenirs... Chaque pièce du domaine
familiale, chaque objet était un pan de sa vie. Mais ici, entre ses froids murs, rien ne lui appartenait encore que des histoires étrangères. A s’approprier.

Il eut un sourire. L’idée était bonne. Et il était en mesure de la réaliser progressivement, jour après jour. Le temps ne lui était pas compté. Sa vengeance aussi prenante fut-elle ne l’enchaînait pas. Elle était sourde et silencieuse. Et chacun des fils nécessaires à son application se plaçaient petit à petit autour de ses proies. Yvan filait doucement, mais sûrement. De plus, il était jeune encore et bien décidé à ne pas mourir maintenant. Ce n’était pas à lui de se soucier du temps. Il disposait donc d’un large espace de manœuvre. Ce qui ne pouvait qu’arranger le perfectionniste qu’il avait toujours été. Il désirait un travail propre flirtant avec l’excellence, l’absolu ? Qu’à cela ne tienne, il s’en donnait les moyens. Ni plus ni moins.

"Hum… Pour la pratique cela est bon. Il me manque juste la théorie. Pensa t-il tout en contemplant le morceau de ciel clair qu’il pouvait apercevoir depuis la fenêtre et où se dessinait la forme effilée de Leïo. Ce sera le plus simple."

Sans attendre plus longtemps, il se tourna à nouveau vers le noyau masculin qui bloquait l’accès à la porte. Profitant encore une fois de son aura, Yvan se fendit rapidement un passage sans grande difficulté. Il eut même le temps de reconnaître au passage le visage idiot du blondinet avant de quitter le dortoir. Après tout ce n’était pas ici qu’il trouverait la théorie, mais à la bibliothèque. Et là-dessus, il faisait entièrement confiance à sa mémoire pour retenir tout ce qu’il jugerait important. Néanmoins…

…ou était cette bibliothèque ?

==> Bibliothèque