Une aiguille dans une botte de foin : les fleurs [M][X]

Le galop du cheval de Darsha, rythmé, cadencé, soulevait à chaque foulée quelques plants de fougère fraîchement sortis du sol à l'arrivée de la belle saison.
Brocéliande renaissait comme chaque année et déjà les vertes frondaisons plongeaient le sous-bois dans une ombre fraîche, percée ça et là par des rayons de lumière dorée.
La voleuse n'avait pas pour habitude de s'émerveiller devant le spectacle du printemps - elle préférait les beautés froides, violentes, rudes - mais, à cet instant, elle avait tout intérêt à contempler la flore naissante.
Elle chevauchait donc, les yeux vagabondant d'un côté à l'autre.
Parmi les délicates clématites, les minuscules clochettes de muguet et les somptueuses digitales, une tache plus sombre attira son attention au détour d'un large chemin.
Elle s'arrêta, attacha son cheval à un arbre et s'approcha.
Devant elle, des centaines de fleurs d'un bleu prononcé ondulaient doucment sous la brise. Un sourit éclaira son visage, puis elle leva la tête vers le ciel. Il ferait nuit dans une à deux heures.
S'étirant à la manière d'un chat, elle alla s'allonger sous un arbre et somnola en attendant la tombée du jour.

...

Le hululement d'une chouette la tira de son sommeil quelques heures plus tard. Au vu des étoiles, il n'était pas minuit.
Elle se leva, rajusta ses gants et, du pas le plus léger qu'elle put avoir, commença à inspecter le parterre.
Les violettes exhalaient un parfum particulièrement entêtant - quoique assez agréable - et la Lune l'éclairait assez pour qu'elle puisse distinguer les fleurs ouvertes des fermées. Evidemment, il y en avaient bien plus répondant à ce deuxième critère...
Néanmoins, près d'un quart d'heure plus tard, elle se redressa vivement, avec une petite exclamation. Elle tenait délicatement, entre le pouce et l'index, une fleur entièrement ouverte, aux pétales bleu nuit plus grands que ceux des autres.
La faisant tourner, elle l'examina : était-ce celle-là ?

Etait-il malade ? Etait-ce la nuit ? L'atmosphère heureuse et tranquille en elle-même ?
Les questions affluaient. Mais aucune ne semblait correspondre. Non, vraiment, aucune d'elle ne savait expliquer pour cette nuit-là le si pédant Envoyé aux entrées de son et lumière, ne fit pas son spectacle. Pourquoi s'était-il contenté d'apparaître dans un petit "Pof !" calme ? Pourquoi arborait-il un sourire aussi petit mais tout autant heureux que ses confrères joyeux ?
Heureusement, les habitudes ne se perdaient pas tant que cela, et il secoua ses ma-gni-fi-queuh cheveux. Ce qui était plutôt rassurant quant à son état mental. Cette action valait même le plus instructif des comptes-rendus.
Le fait est que L'Envoyé se portait bien.

"Bonsoir chère damoiselle ! La lueur de la lune vous va bien."

Par habitude il eut un discret salut pour se pencher sur la fleur avec ce qui semblait être la curiosité d'un enfant. Ses grands yeux posés sur la plante, il caressa avec délicatesse un des pétales, effleura une feuille...puis finit par avoir un signe négatif, sans pour autant quitter son petit sourire tranquille.

"Désolé, mais ce n'est pas la bonne. La tige n'est pas assez droite, les feuilles trop peu présentes et les pétales ont un touché trop rugueux. Tu es cependant sur la bonne voie. Elle doit être dans le coin. Appelle moi quand tu l'auras trouvé !"

Et sur un discret clin d'oeil, il disparut dans un énième "Pof !" d'une discrétion ahurissante. Ma foi... Cela ne faisait pas de mal. Non ?

Ciel. Enfer. Par les cachots de Zalera.
Nom de Nyx ! Pas d'entrée spectaculaire !
Darsha - qui commençait, si peu que ce soit, à connaître l'Envoyé - n'en crut tout d'abord pas ses yeux. Elle en resta muette un instant.
Mais elle fut bien vite rassurée par le traditionnel secouage de magnifiqueuh cheveux. Ainsi c'était bien le vrai - elle aurait pu soupçonner un imposteur, sait-on jamais...

Elle leva les yeux de sa fleur devenue sans valeur. Ce n'était pas la bonne. Qu'importait !
Glissant la tige derrière son oreille, sans prêter attention au compliment et à la disparition - tout aussi peu spectaculaire que l'apparition - de l'Envoyé, elle se replongea dans la contemplation du massif.
Un tige bien droite, des feuilles fournies, des pétales veloutés et délicats.
Cette description devint un leitmotiv ; elle repoussa une douzaine de fleurs identiques à sa première trouvaille, quadrilla mentalement le massif et réentama ses recherches de manière plus méthodique.
Elle passa ainsi une bonne heure, le nez dans les fleurs, avant de se laisser tomber sur le dos pour souffler.

"C'est d'accord. Tu peux venir avec nous. Mais je te préviens...
- Hm ?
- Donnes t'en les moyens."

Elle secoua la tête et se reconcentra sur l'instant présent.
Justement, à quelques centimètres de ses yeux à présent au ras du sol, se dressait une fleur plus courte sur tige mais bien droite que toutes les autres étaient légèrement courbées.
Elle se redressa vivement.

"L'Envoyé !"

Cette fois un flash de lumière fit son apparition. D'une luminosité sans pareille, il laissa place bien entendu à la seule personne à la si spectaculaire entrée et surtout, aux si magnifiqueuh cheveux-bis qui n'avaient d'égaux que ceux de Tran'k Eter, Commandant de la milice et partenaire de l'Eau Rél... Heu. Dans tous les cas, c'était dire !
Tout sourire et désormais avec une excitation plus marquée, il eut une courbette pour s'accroupir finalement au sol, son tout aussi magnifique profil à quelques centimètres de la fleur. Si peu que l'être en était à loucher en une attitude qui, on devait l'avouer, était particulièrement comique et ridicule. Surtout qu'il accompagna cela d'un froncement de sourcil et d'une expression profondément concentrée qui paracheva le tableau en un rien de temps.

Ah ! Et il se mit à marmonner dans sa barbe inexistante !

"Hum... Les pétales sont bien ceux décris. La tige me semble correcte... Les feuilles aussi. Le coeur est... Oui c'est bon aussi... Hum... Possible... Ca y est aussi..."

Puis finalement, au bout de quelques minutes ainsi passées, il se releva victorieux après avoir retiré de Terre comme il se devait la plante, c'est-à-dire, en prenant garde de préserver ses racines. Il tira alors un petit bocal d'on-ne-sait-où, et y place soigneusement la plante rayonnante sous le clair de lune, pour remettre le tout à la voleuse avec un sourire satisfait.

"Je suis heureux de votre raisonabilité envers cette plante. Vous avez su préserver sa vie sur le bénéfice du doute. C'est une valeur morale certaine. Dans tous les cas, c'est la bonne. Il n'y a plus qu'à la porter à l'hôpital de Tirn Ail. Je vous en laisse la charge bien entendu. Après tout, la somme de la récompense se trouvera là-bas."

Tout en parlant, L'Envoyé avait eu un discret sourire quelque peu moqueur. A force, il commençait à comprendre l'état d'esprit de la jeune voleuse. Ce qui n'était pas bien difficile, il fallait l'avouer.

Puis il disparut dans un nouveau flash, sur un fond musical étonnant qui aurait fait pâlir les moineaux de jalousie. Du moins, s'ils ne s'étaient pas étrangement enfuis à tire-d'aile. Allez savoir pourquoi...

Avec un sourire - il était définitivement redevenu lui-même - la jeune fille bondit sur ses pieds.
Elle prit délicatement le bocal des mains de l'Envoyé, qui repartit dans un final flamboyant plus en accord avec sa personnalité, et courut à sa monture.
Enveloppant précieusement le bocal dans un étoffe pour le protéger des éventuels chocs, elle le fixa à sa ceinture à l'aide de lanières de cuir noir.

Cette petite mission s'était révélée très satisfaisante, de tous les points de vue. Pas d'ennemi pour la ralentir, pas de distances énormes à couvrir, pas d'allers-retours éreintants à tout bout de champs, par de personnes à interroger, pas d'hystériques ou de compagnons à gérer. Mais la nuit, reposante et douce ; la Lune, splendide spectatrice ; la forêt silencieuse et calme ; une récompense risonnable à la clé ; et pour finir une chevauchée avec les étoiles pour seuls témoins.

Oui mais... où était l'amusement ? Galoper de nuit c'est bien, cueillir des fleurs pour un millier d'Uhrs c'est simple, mais où était l'excitation de la course-poursuite, l'adrénaline des duels à mort, la satisfaction de se savoir auteur d'un acte terrible sans en être punie ou d'une manoeuvre capitale et d'en être récompensée, où était la frébrilité du commandement, le pouvoir d'un ordre à donner, la joie d'un meurtre ?
Où ?

Nulle part...
Sans se demander d'où lui venaient ces idées si opposée, Darsha enfourcha son cheval et, jetant un dernier regard que brisa un rire dément qu'elle ne réprima pas - elle avait bien le droit de vivre comme elle en avait envie - se mit en route à toute vitesse pour Tirn Ail.
Sortons les médecins de leur lit...

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