Une aiguille dans une botte de foin : les doc'

L'hôpital est un lieu de paix, de silence, de calme, du moins quand une affluence de blessé ne le transforme pas en mouroir collectif et ne déborde pas les médecins.
L'hôpital est d'autant plus un lieux silencieux à trois heures du matin.
En théorie. En temps normal.
Darsha, qui revenait de Brocéliande avec la précieuse fleur qu'elle y avait trouvée, ne l'ignorait pas. Et, pour une fois, n'avait pas l'intention de déranger qui que ce soit. Pas que l'envie lui en ait manqué, mais s'il y avait bien un règle qu'elle n'enfreignait pas, c'était le respect des blessés.

Or donc, comme elle venait d'entrer dans le hall sombre et désert et que malgré tout une partie d'elle-même ne voulait pas attendre jusqu'au lever du jour que les médecins se lèvent, elle décida de rendre une petite visite à la seule personne qu'elle connaissait dans cette institution.
Le réceptionniste-bureaucrate-correcteur de formulaire en chef - et accessoirement chef de la milice, Tran'k Eter.
Qui semblait dormir, la tête dans les mains, mais toujours fidèle au poste, de l'autre côté du comptoir.

"Eter, réveille toi..."

Notre cher Commandant, dont la blondeur de cheveux n'était plus approuvée, n'eut sur le coup aucune réaction. Il faut dire qu'à force de rester assis-là à attendre sans aucun événement particulier, il était tout à fait raisonnable de finir par s'endormir. Surtout lorsqu'on faisait cela depuis cinq heures du matin. Punition d'Hana oblige...
Enfin bref.

Le fait est qu'il ne sembla réagir que lorsque Darsha -exaspérée ?- commença à le secouer plus ou moins violemment par le bras. Poussant ce qui devait être un grognement, il marmonna finalement quelques paroles inaudibles qui semblaient s'apparenter à : "Non Serafim, on ne fait pas les gâteaux au chocolat comme cela...", le tout accompagné d'un étrange sourire. Mais ses réactions en restèrent là, quoi que...
Il finit par se redresser violemment d'un geste subit et particulièrement surprenant. Son visage enjoué avait cependant laissé place à une expression profondément blasée. L'habituelle. Qui s'illumina quelque peu devant la petite présence qui lui faisait face :

"Darsha..."

Ce qui était un exploit quant on savait que la mémoire de Tran'k n'exédait pas les deux secondes, à savoir encore moins que le plus stupide des poissons rouges. Enfin... Pas miracle, il avait reconnut la voleuse sans difficulté et lui adressait maintenant un sourire tranquille, peut être même un peu plus pâle que d'habitude. La fatigue.

"Que fais-tu ici ? Il est tôt. Il me semble..."

La voleuse plissa les yeux et eut un petit rire. Elle pouvait bien s'amuser, non ? Allez, pour toutes les fois où il l'avait appelée Minimoy...

" Ce que je fais là ? Mais c'est évident ! J'ai rameuté tous les plus grand barbiers de Tirn Ail et les ai convoqué ici afin de couper tes si charmants cheveux. N'est-ce pas une délicate attention ? Si je les ai amenés si tôt, c'est pour que personne ne puisse les en empêcher, tu sais, ils sont absolument surexcités à l'idée d'avoir entre les mains le partenaire le plus coté de l'Eau Réal ! Les cheveux très courts t'iront parfaitement !"

Et, tournoyant sur elle-même avec un sourire malicieux, poursuivit :

"Mais non...en fait je viens pour l'argent. Non, non, je sais ce que tu vas me dire : comme d'habitude, quoi ! D'accord, cette fois ce n'est pas pour une mission de la milice. Je rapporte une plante médicinale aux médecins de l'hôpital, ils font des recherches dessus je crois... bref, on me doit mille Uhrs. Tu es au courant ?"

Les yeux du Commandant s'étaient progressivement écarquillés au fur et à mesure des paroles de la voleuse. Et lorsque celle-ci eut terminé sa première tirade, on ne lisait désormais plus que l'effroi dans les prunelles claires du "jeune" génie. Effroi dont sembla se délecter la voleuse avant de continuer, rassurant le blondinet quant à l'avenir de ses magnifiques' cheveux' que même L'Envoyé lui jalousait - ce qui n'était pas peu dire !
Aussi quand Darsha aborda le véritable thème de sa présence ici, eut-il une expression profondément blasée avant d'avoir un signe négatif de la tête.

"Non. On ne m'a prévenu de rien. Ni mission. Ni argent."

Avant que ses sourcils ne se froncent, soucieux.

"Tu es sûre que tu n'as pas..., par le plus grand des hasards, un peu trop profiter de l'odeur...des plantes ? Certes. Elles sentent bon les fleurs. Mais tu sais...en Brocéliande, certains d'entre elles ont un parfum...un peu entêtant parfois... Tu comprends ?"

Un profond soupir s'échappa des lèvres entrouvertes de Darsha.
Ne pouvait-elle pas plaisanter un peu sans qu'il se méprenne ? Visiblement non.
Mais alors, si un plaisanterie innocente comme celle-ci déclenchait une telle réaction, comment réagiraient-ils, tous, si elle laissait libre cours à ses envies ? Ces derniers temps, en effet, elle ne cessait de penser à des choses qui ne lui seraient pas venues à l’esprit aussi naturellement et de façon aussi persistante auparavant.
Ce n’était pas des idées totalement à côté de ses pensée habituelles, au contraire. C’était plutôt comme si elle les avait vues d’une manière plus radicale, plus originale, voire même - n’ayons pas peur des mots - folle.

Elle avait par exemple, lorsqu’elle s’ennuyait, de soudaines envies de monter sur le toit tenir compagnie aux nuées de corbeaux qui y nichaient en permanence ; ou bien éclatait-elle d’un petit rire dément sans raison. C’était comme si ses pensées avaient eu une autre voix, étrangement brisée, que celle avec laquelle elle parlait ; et cela n’empêchait pas qu’elle était toujours totalement d’accord avec cette voix.
Bien sûr, puisque c’était la sienne !
Elle ne pouvait qu’être d’accord avec elle-même…

Qu’elle change peu à peu était au fond tout à fait normal, et même rassurant. Elle ne pouvait pas rester éternellement la petite Darsha espiègle et innocente de jadis. Innocente ? Elle avait cessé de l’être depuis son arrivée chez les Unseelies. Le culte de Nyx avait donné une tournure particulière à son âme - d’aucun auraient dit qu’elle l’avait pervertie.
Soit, cela avait perverti son esprit. Et alors ? Si c’était un mal, il était terriblement voluptueux… elle ne se sentait que mieux. Pouvoir rêver de démesure, de folies, ne pas s’embarrasser de logique, afficher sa joie de combattre et de tuer, son amour de l’argent, plaisanter dans les combats à mort, redevenir sérieuse parfois et distiller le Chaos à chaque geste, c’était cela, la liberté qu’elle aimait !

« Je n’ai rien fait de douteux avec les fleurs, oï, Eter ! Je crois ne pas en avoir besoin par une belle nuit bien sombre à trois heures du matin, dit-elle en claquant joyeusement ses mains l’une contre l’autre. Tu peux réveiller un médecin quelconque, s’il te plaît ? J’aimerais mon argent. »

Le Commandant fronça des sourcils. Signe d'énervement ? Non. Un bâillement intempestif brisa rapidement le tableau de "Miné râle". Grommelant dans la barbe qu'il n'avait pas des injures peu chastes envers les voleurs et leur amour immodéré pour l'argent que, par soucis de censure, nous ne retranscrirons pas, Tran'k se décida à quitter son bureau pour aller joyeusement secouer un quelconque guérisseur.
Sa silhouette disparue rapidement délaissant la voleuse dans le bureau. Et ce ne fut qu'au bout d'une dizaine de minutes qu'il revint, sur ses talons un pauvre guérisseur agacé dont la joue pâle portait encore la trace du coin de son classeur de bureau. L'homme d'apparence âgé grogna tandis que Tran'k reprenait sa place, scrutant avec plus de sérieux le specimen retrouvé.

Quelques minutes plus tard de recherches actives -pour le guérisseur- et songeries heureuse -pour Tran'k-, l'homme eut un grand sourire et, s'emparant de la main de la voleuse qu'il secoua avec joie sans pour autant ouvrir la bouche, seul ses yeux clairs pétillants, il y remit rapidement une bourse pour repartir avec entrain, le bocal coincé sous l'aisselle, sifflotant le dernier tube de Franki Alagneuh.
Ce qui fit hausser un sourcil au Commandant qui lâcha bientôt d'un ton morne :

"Y'a des gens bizarres dans ce monde."

Mille Uhrs. Une jolie somme.
Gagnée si facilement.
Il y avait de quoi être contente. Aussi, quand le médecin lui secoua vigoureusement la main comme un tar… excité, la voleuse ne lui retourna pas une claque - comme elle l’eut fait s’il avait été par exemple un thuatha, ou si elle avait été simplement de mauvaise humeur - et lui fit même un joli sourire. Pas même un sourire dérangé, attention.
Quand il fut parti, sautillant gaiement avec son bocal sous le bras, elle inclina légèrement la tête sur le côté et ramena l’argent à la hauteur de ses yeux, plissant ceux-ci dans une expression mi-satisfaite, mi-enfantine.

Sortant une pièce d’un beau doré qu’elle fit glisser entre ses doigts, son sourire s’élargit peu à peu.
Le chaud miroitement du métal était un spectacle ô combien rassurant, ô combien captivant… car il durerait à jamais… rien n’est éternel comme l’argent… rien n’est puissant comme l’argent…
L’argent était plus rassurant pour elle que l’étreinte de quelqu’un, que les mots de quelqu’un. L’argent était la seule chose qu’elle ait pu conserver tout au long de sa - courte - vie, sans qu’il disparaisse, sans qu’il ne perde de sa valeur à ses yeux, sans qu’il ne puisse l’aider.
L’argent ne mentait pas.
Oh… rien ne valait l’argent…

…peut-être à la limite le sang de l’ennemi qui coule… mais comme celui-ci rapporte de l’argent, cela revient au même.
Non ?

« Bonne journée, commandant. Et bonnes… hmm… expériences culinaires avec Serafim. »

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