Journal intime d'une princesse 2 [M][X]

[>> Dortoirs communs]

Yvan pénétrait dans ces lieux pour la première fois. Il n'était pas un grand habitué de la chevauchée et n'avait eu recours aux chevaux que lors de déplacements qui le nécessitaient réellement. Au contraire de ce que l'on aurait pu attendre d'un noble, il aimait marcher. Tout simplement. Les voyages à pieds demeuraient ces préférés sans aucun doute. Plus longs certes, plus dangereux quelque fois, plus fatiguant...plus tranquille aussi, propice aux pensées et d'autres critères qui lui faisaient aimer ce mode de déplacement plus que tout autre.
Il n'en haïssait pas pour autant les chevaux, bien qu'il n'ait que très peu d'attaches avec ces animaux qui n'étaient jamais très friands des vampires, conscients qu'ils pouvaient devenir leurs proies. La seule créature qui avait approché Yvan sans aucune crainte, sans jamais voir en lui une menace, c'était Leïo. Son hirondelle qui ne devrait plus tarder à le rejoindre. Il n'y avait qu'elle pour se poser sur son épaule, ne pas fuir au contact de sa peau, pas même lorsque les instincts reprenaient le dessus sur son esprit. Une compagnie à laquelle il s'était habituée, ne pouvait certainement plus se passer maintenant.
Quelle importance ?

Il avança dans l'allée centrale, jetant quelques coups d'oeils aux nombreux boxs occupés dans l'espoir d'apercevoir finalement une présence humaine -du moins, dans la mesure du possible- qui saurait le renseigner...
Puis à tout hasard, il lança :

"Y a t-il quelqu'un ?"

L'vieux Teddy

"Non y'a personne !"

L'vieux Teddy était membre de la Cavalerie depuis maintenant plus de cinquante ans. Sorcier mesquin, il avait rejoint les rangs de la Déesse à sa majorité pour servir le noir côté et ses idéaux. Il y avait trouvé là un amusement certain, des missions à remplir pour la première fois et une passion qui l'avait dévoré pour ne plus que laisser ses vieux os brisés : les chevaux.
Il s'était pris d'affection pour ces grandes bêtes qu'il n'avait pu approcher qu'au sein de la forteresse. Plutôt ouvert et doué d'empathie, il avait su répondre à leurs besoins naturellement et à les comprendre. Son existence même, en sa totalité, se résumait à ces heures innombrables qu'il passait en ces lieux chargés de souvenirs, à défaut de ne plus pouvoir monter désormais.
Nyx ne lui demandait plus rien maintenant que de continuer à s'occuper de ces écuries. Il la remerciait pour cela, d'avoir pitié d'une vieille carcasse comme lui.

"Un nobliaud, ça par exemple ! Qu'es-tu veux gamin ?"

Sortant tout juste d'un box où il s'occupait de Menhir, la chouchoutant plus que nécessaire mais son possesseur ne lui en voudrait pas, l'vieux Teddy se tenait appuyé contre le panneau de bois, apparemment amusé de la situation.

Yvan ne put que remercier l'éducation sévère de ses parents alors que les mots "nobliaud" et "gamin" retentissaient avec un certain impact à ses oreilles. Se raidissant, il accorda à ce vieux grigou sorti d'un box comme ces clowns en boîte, un visage impartial, bien qu'une certaine raideur demeurait en sa machoîre.
Cependant conscient que l'homme d'un âge poussé pourrait parvenir à l'aider, il se résigna à mettre de l'eau dans son vent (Ô comble de l'horreur n'est-ce pas Nyx ?) et à ne pas relever le langage certainement habituel de l'apparition ni la moquerie qu'il y percevait clairement.

"Je suis à la recherche d'un voleur, ordre indirect de notre Déesse. Déclara t-il en appuyant volontairement sur le fait qu'il servait Nyx en enquêtant ainsi. Un objet a été dérobé au petit matin dans le dortoir commun, un journal qui appartenait à une Unseelie. Elle s'est très vite rendue compte de sa disparition et a remarqué une odeur de cheval, de la paille et de la terre éparpillés. Cela est survenu il y a deux jours.
J'aimerai savoir si vous n'auriez pas été présent aux écuries à cet instant-là et si vous n'auriez pas remarqué le comportement suspect d'un cavalier ou quelques tendances "cleptomanes" que certains pourraient avoir..."

Puis presque certain quant au caractère de ce bonhomme, Yvan crut bon d'ajouter accompagné d'un faux-sourire les mots magiques :

"S'il vous plaît."

L'vieux Teddy

Teddy n'eut pu se retenir de se marrer face à l'expression crispée du noble et d'un naturel peu trompeur. Toussotant fortement sous cet éclat de rire, il lança envers le jeune vampire d'un ton goguenard :

"Et en plus t'es poli ! Mais c'est pas la peine d'prendre une expression pareille ! On me l'fait pas à moi tu sais gamin ! Alors retire c'balai qui t'es resté dans l'cul. Ca t'fera du bien, tu verras !"

Puis recommençant à rire de nouveau, le vieux Teddy en profita pour ranger les brosses qu'il avait encore dans les bras pour se tourner vers son pigeon et pousser un sifflement admiratif sous son attitude étrangement tranquille, son visage impartial malgré les moqueries et dont seul le regard couleur sang ressemblait à une menace de mort.

"Et bhé ! Si ça vous fait mêm'pu rien à vous les jeuniots ! Relax ! Tu t'comportes comme un vieux d'cinquante. Sourie un peu bon sang !"

Silence.

"Bon... Tu veux pas ? Sale gosse."

Silence.

"D'accord, d'accord, d'accord, j'ai compris ! Pas la peine d'm'bouffer du r'gard ch'uis certain que mon sang est semblable à d'la pisse. Range ton dentier veux-tu ?
Si vraiment tu tiens à avoir ton info, j'peux te dire en effet que Bob le Bric est passé il y a deux jours très tôt dans la matinée et que c'était l'seul à se pointer à une heure pareille. Après, y parle pas trop Bob... Mais c'est un voleur. Alors... Si ça peut t'aider gamin...
Et cesse de demeurer ainsi, tu vas attraper des rides et devenir moche comme moi ! Ce sera du beau travail tiens ! Ca m'rapelle ma jeunesse lorsque... !"

Il était calme. Calme et reposé. Chez lui, dans sa chambre véritable havre de paix et de silence. Un moment de quiétude qu'il passait, seul avec lui-même. Le calme, oui, tranquillement ne pensez à rien qu'une étendue de glace qui se perd à l'horizon. Au ciel gris, au soleil disparu qui ternit le sol sous ses pas. Un monde silencieux et figé. Il était calme. Calme et reposé. Il ne tuerait pas cet Unseelie pour l'avoir traiter de gamin puis de vieillard en émettant une hypothèse totalement fausse quant à son noble postérieur et...
Il allait le saigner oui cette vieillerie bonne pour la casse !

"Epargnez-moi vos radotages, je vous prie ! Où puis-je trouver ce Bob le bric maintenant ?"

Mauvais, sa voix s'était faite furieuse.
Reprend-toi Yvan, ça va passer. Ca va passer... L'étendue de glace qui se perd à l'horizon avec ce silence si doux à ses oreilles qui...

L'vieux Teddy

"Ooh ohh ! Doucement mon garçon ! J'ai compris, j'ai compris... J'dis plus rien. Tant pis, tu rateras l'expérience d'un vieille carcasse comme moi, s'tu veux ! Okay... J'vais t'aider un peu même si ch'ais pas trop. Mais me regard'pas comme un morceau d'viande, s'teu plaît ! J'tiens à mon honneur de grigou quand même !"

Soupirant face à l'empressement du jeune nobliaud pas commode pour un sou (Non, il est armoire ! HA HA HA HA HA ! Blague ! HA HA HA ! Hem. Mission.), Teddy eut un excès de nostalgie pour le bon vieux temps où il ressemblait encore à quelque chose. Un fier guerrier de Nyx à l'expérience qu'enviaient les jeunes. Mais désormais, que pouvait-il être d'autre qu'un ancêtre fana des chevaux ? Son temps était passé.
Place aux jeunes. Connerie .

"Bob a pleins d'habitudes. Il a pas eu de mission alors il doit être à la forteresse. Ces après-midi il les passe souvent en groupe à ne pas faire grand chose pour Nyx autour d'une table... J'vois qu'un lieu qui correspond bien à ce genre d'activité... Ca t'dit quelque chose ?"

Yvan hocha aussitôt la tête.

"Je comprends oui. Qu'il profite de ces dernières minutes de distraction, je ne crois pas qu'il restera plus longtemps attablé. Nyx n'a pas besoin de telles recrues pour la servir. Ils sont juste bons à faire les guignols..."

Certes, il avait rejoint les rangs de la Déesse pour mener à bien sa vengeance, mais il avait toujours su dans quelle nouvelle contrée il s'aventurait en prêtant ainsi serment à Nyx. Il était prêt à la servir, peu importe ce qu'elle pouvait alors lui réclamer. Et il ne supportait pas que d'autres se jouent de leurs vœux.

"Je vous remercie de votre aide. A une prochaine fois peut être..."

Non surtout pas, ajouta t-il silencieusement pour se détourner sans plus attendre et quitter les lieux, attrapant au passage le vol gracieux de Leïo qui rejoint son épaule avec une habitude qui n'était plus à démontrée. Il se sentait plus que d'humeur à retrouver le plaisantin... Il pouvait accepter le vol du journal, de la part d'un voleur cela n'était pas bien étonnant, mais il n'acceptait pas l'idée qu'un gueux s'en prenne à une noble sans pour autant servir de quelconques intérêts, ni comprendre toute la signification de son acceptation entre ces murs.
Il était peut être temps pour lui de les quitter... Il verrait bien.

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